BDSAIME
Clara est morte, vive Maîtresse Blanche
L'histoire d'une cerise qui a développé l'impossible envie de devenir le gâteau.

Quinze mois durant, je fus le soumis de Maîtresse Blanche, dans une relation privilégiée, où elle a même fait de moi une exception à certains égards. Une source dont l’eau n’aura cessé d’accroître ma soif, menant à ma propre noyade.
J’ai versé beaucoup de larmes, loin d’elle, après l’avoir entendue me dire que c’était mieux y compris pour moi qu'elle mette fin à cette relation d'appartenance exclusive, chez elle, un triste soir d’octobre. Elle avait raison, et a eu le courage et la sagesse de prendre cette décision, là où je ne faisais que me laisser dévorer par mon anxiété depuis plusieurs semaines - et, je pense, la répercuter sur elle, qui aura pourtant tout fait pour éviter cela.
Ce faisant, elle m’a libéré de ses chaînes qui m’étaient si douces, mais aussi et surtout de moi-même, englué dans une attitude négative que je ne maîtrisais plus, indigne d'elle, mais aussi de ce que j'avais toujours été auprès d'elle. Je la remercie pour cela. J’étais devenu une vieille commode encombrante, alors que j’étais entré à son service comme un oisillon tout neuf, émerveillé par les reflets dans l’eau.
Clara, tel qu’elle m’avait renommé, ne parvenait plus à supporter la dissymétrie de nos places respectives aux yeux de l’autre, ne savait plus se contenter des moments pourtant précieux qu’elle me faisait vivre, ni de la considération qu'elle m'offrait. Maîtresse Blanche avait cependant été très claire dans les règles et le cadre de notre relation, dès le départ. J’avais accepté cela, et j'étais certain de ma capacité à le respecter au moment où je l'ai fait.
Vêtu de mes fières ailes de cire confectionnées par ma Maîtresse, j’ai vécu des moments exceptionnels auprès d’elle. J’ai connu un bonheur profond, et partagé avec elle des moments d’intimité et de complicité qui ne disparaîtront pas. J'ai longtemps eu l'impression de vivre un rêve éveillé grâce à elle.
Clara, elle, a fini par disparaître, noyée dans la source dont elle s’abreuvait et au-dessus de laquelle elle volait ; la fragile couche de cire de mes ailes n’aura pas supporté de s'approcher si près d'un tel soleil. Mon cœur prenait le dessus, et je n’ai pas su le faire taire, ni le renier. Une authenticité coûteuse.
"Je te rends ta liberté", m'a-t-elle dit.
Clara, cependant, sera remémorée par au moins une personne - moi-même, et peut-être par deux personnes, par instants. Cette idée-là valait toutes les noyades d’une vie, je crois ; à la seule condition que le soleil lui pardonne son imprudence.
Je reste en bons termes avec Maîtresse Blanche, et n’éprouve que de la reconnaissance envers elle, pour m’avoir tant donné, pour m’avoir accepté. Je suis fier et honoré d’avoir été son soumis, de l’avoir servie. Je suis fier de l'origine, entre nous, de ce nom qu'elle m'avait attribué. Ce n’est pas une fin, mais un changement, une évolution, une continuité, dans une connexion humaine opérée il y a plus de quatre ans maintenant et ce qui a été ma plus belle, ma plus authentique, relation de soumission.
Si j’écris ces lignes un lundi matin, le surlendemain de la noyade et encore dans la souffrance, je sais que ce sont ses rires et sourires qui prédomineront bientôt en moi ; que ce sont nos moments de partage qui resteront.
C’est avec plaisir, m'a-t-elle écrit, qu'elle me recroisera.
Quant à moi, en plus du plaisir, c’est tel un oisillon tout neuf, sans prétentions et sans attentes, que je la recroiserai.
Je pense qu’elle m’a pardonné, elle qui a toujours été si bienveillante envers moi ; il ne me reste plus alors qu’à me pardonner moi-même. Je le ferai par respect pour elle, mais aussi par respect pour moi. Après avoir volé, je vais devoir de nouveau marcher, et je ne pourrai le faire sans bienveillance envers qui je suis.
Clara est morte, vive Maîtresse Blanche.