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Malaise pénien

Un homme intéressé par le genre féminin mais nullement par la pénétration est-il bien un homme ?


Septembre ou octobre 2019, je ne saurais dire vraiment. Je suis nu, dans le confortable lit d’une femme rencontrée quelques semaines auparavant. D’abord découverte sous l’angle de dominatrice avec qui je discutais affaires, c’est vite entré dans une sphère plus personnelle.


Les choses étaient allées très vite pour moi à cette période-là ; à tel point que je pensais être sorti de ma dépression, un peu naïvement. Quelques mois plus tôt, j’avais manqué de me faire pulvériser par un bus – j’ai traversé la rue sans voir que le petit bonhomme était rouge, les yeux embués par des larmes que je m’efforçais de retenir. Je remercie l’attention de chauffeur. Si j’estime être un fatigué de naissance, je dois bien avouer que cette fatigue-là était d’un genre nouveau pour moi. Cette dépression, à ce moment-là de ma vie, est pourtant l’une des meilleures choses qui pouvaient m’arriver ; je suis cependant bien content de pouvoir en parler au passé.


Revenons-en à nos moutons fatigués. Je me retrouve donc dans le lit de cette femme qui semblait beaucoup m’apprécier, à ma grande surprise. Je ne saurais dire si je me réveillais très souvent dans la nuit, ou si je n’avais pas vraiment su m’endormir. Je passe une très mauvaise nuit, comme presque chaque fois que je dois dormir dans le même lit que quelqu’un d’autre. Je sens son pouls résonner à travers le matelas, ça me rend chèvre fatiguée. Je désespère, regard perdu sur son frigo. Très vite, je me retrouve à déguster un improvisé sandwich au fromage, sous les yeux fermés de ma compagne du soir.


Plus tôt dans la soirée, c’est les yeux grands ouverts que je l’avais pénétrée, tentant de répondre à son enthousiasme. Mon souci de plaire étant alors plus fort que le souci de moi-même, j’avais accepté cette mission tendue, certes à reculons. Je ne sais comment expliquer être un homme qui n’est pas attiré par la pénétration, pas plus que par le corps dénudé d’une femme et son organe sexuel. Cela vaut aussi pour les hommes d’ailleurs. Mes attirances et mes envies de jouissance physique se situent ailleurs. Je ne sais comment l’assumer ne serait-ce qu'envers moi-même, alors tenter l'expliquer à une femme nouvellement rencontrée me paraît très, trop ambitieux. Écrasé par la place prépondérante que prennent à juste titre les questions sexuelles féminines, je ne me trouve pas légitime à me plaindre de ces enjeux personnels, pas plus qu’à en parler.


Je me retrouve même parfois à souhaiter avoir un micro-pénis, les choses seraient alors bien plus claires pour tout le monde. Engager un rapport sexuel « classique » avec cette femme était bien la dernière chose que je voulais, mais je m’étais fait avoir lors de notre première fois, quelques jours avant ce sandwich au fromage. Elle était montée sur mon engin sans que je ne la vois venir. S’arrêter au stade des étreintes physiques, des griffures et des mains sur mon visage m’allait très bien, cela me satisfait physiquement et me transporte mentalement. Le jeu du petit train pénétrant est tellement loin de mon univers que je n’avais pas imaginé une seule seconde que cela pouvait être une suite logique et attendue de nos jeux de corps. C’est d’ailleurs bien pour ça que je ne pouvais lui en vouloir – l’anomalie, objectivement, c’était moi. Une fois entré en elle, je ne ressens plus grand-chose, sinon un sentiment de gêne, voire de dégoût mesuré. Mais le mâle était fait, j’étais tombé dans le piège de celui qui doit répondre aux attentes, surtout quand on a 25 ans, surtout quand on n’a pas du tout un micro-pénis.


Sachant qu’elle ne pouvait évidemment être satisfaite de ma prestation, j’étais alors entré dans une logique de performance, il fallait remettre le couvert les jours suivants. Aucune envie de le faire, aucun plaisir à le faire, pas même celui d’une curiosité déjà satisfaite quelques années auparavant. Rien ne me poussait à cela, sinon l'éternelle image de l’homme conquérant et pénétrant, sinon la crainte d’être rejeté si je ne réponds pas aux fermes attentes nervurées projetées sur moi.


Elle aura heureusement vite fini par comprendre que ce n’était pas mon truc, mais je passais alors pour celui qui n’y arrive pas, avant d’être juste un homme qui ne veut pas, qui n’aime pas. L’homme a toujours envie et ne demande que ça : il m’est difficile d’échapper à ce cliché, plus difficile encore que je ne suis pas du style « efféminé », autre cliché souvent opposé au premier, comme pour dédouaner les anomalies. Un homme intéressé par le genre féminin, mais ne voulant pas le pénétrer, est-il bien un homme ?


Mon sandwich au fromage terminé, je me demande si elle m’en voudra en découvrant que j’ai agressé son pain, trucidé son comté. Puis, enfin gagné par une envie de confort surplombant celle de normalité, je prends un oreiller, une couverture et je m’endors par terre, loin de tout pouls, sinon du mien. Qu’est-ce que cela fait du bien. Enfin, un peu de repos.


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