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Silence imposé

Souvenirs d’un moment vécu il y a un moment déjà. Je voudrais m’exprimer sur le pouvoir du silence imposé au soumis.


Je suis dans le train, en chemin pour passer la nuit entre les mains d’une femme que j’apprécie beaucoup. Le thème de ce moment avec elle sera notamment l’ABDL : je serai son petit bébé. Si j'avais déjà connu une expérience de DL, le AB sera une première pour moi.


Le regard perdu dans le paysage, je reçois un message. Elle m’indique que dès le seuil de sa porte franchi, je n’aurai pas le droit à la parole. Pas un seul mot.


Je suis déconcerté : je n’avais jamais connu cela. Évidemment, j’ai adoré être ainsi surpris. J’ai ensuite, pour le reste du trajet, réfléchi aux tenants et aboutissants de ce silence imposé.



Le bâillon en règle générale


Le bâillon est un grand classique de l’imagerie BDSM. Il est multiple : caoutchouc, cuir, adhésif, linge (culotte, chaussette, foulard...), pour ne citer que ceux-là. Ses fonctions sont également diverses. Certains, très visuels et fantaisistes, cherchent à accentuer l’humiliation, c'est le cas notamment de ceux "à thème". Le plus souvent, les bâillons se veulent plus pragmatiques et ne cherchent qu’à remplir leur fonction première : priver d'un sens.


Personnellement, je suis un grand fan des bâillons – ou plutôt devrais-je dire du fait d’être bâillonné. J’ai une préférence pour les bâillons confortables, et qui s’introduisent dans ma bouche sans pour autant sanctionner la mâchoire de douleurs. Grand torturé que je suis, je raffole du sentiment d’humiliation, c’est notamment pourquoi le bâillon type « vêtement porté » est parmi mes favoris (que c’est rabaissant !). Mais, dans tous les cas et quel que soit le type de bâillon, c’est bien le cher sentiment d’impuissance qui me cajole, la privation d’un sens important.


Plus que cela encore, le fait d’être bâillonné me transporte, et me soulage plus encore que je ne saurais le dire, pour une raison presque psychanalytique. Un traumatisme, pour ainsi dire. Un de plus, si j’ose dire. Je finirai peut-être par l'évoquer un jour sur mon blog.



Le silence imposé par la dominatrice


L'introduction faite, il s'agit de revenir à la base de cet article : privation de la parole, sans bâillon.


A ma grande surprise, le soulagement que je ressens dans le fait d’être bâillonné était tout aussi présent cette fois-ci, sans bâillon. A partir du moment où elle m’avait intimé de ne pas parler, cela s’est fait sans effort, naturellement. Parole supprimée, et je m’en contentais bien.


Elle n’attendait vraiment plus rien de moi, pas même cela - pas même de communiquer. Une pression en moins. Par conséquent, l'équilibre de la communication s'en trouvait même bouleversé : l'accent était d'autant plus mis sur elle, elle devait chercher à me lire plus que je n'avais à me faire comprendre.

 

Presque deux ans après cette expérience, plus que les couches, l’immobilisation physique, les stimulations sur mon pénis, les décharges électriques, c’est mon silence qui me marque le plus. Parce qu’elle était la seule à pouvoir prendre la parole, elle était aussi la seule à occuper l’énergie ; pour ainsi dire, à occuper l’espace. J’étais plus que jamais spectateur de son emprise sur moi, et j’aimais cela – elle danse si bien, elle rayonne. Sa domination sur mon bout de cœur éprouvé chasse mes démons. Trop lucide pour croire en moi, pas assez pour ne pas croire en elle.


« Le vrai contact entre les êtres ne s’établit que par la présence muette, par l’apparente non-communication, par l’échange mystérieux et sans parole qui ressemble à la prière intérieure ». - Emil Cioran


L’absence de bâillon : plus muet que jamais


Je relève par ailleurs qu’être privé de la parole sans être bâillonné tend justement à dominer encore « plus » le soumis. La dominatrice est entrée dans sa tête, et le musèle en ce lieu même. J’avais la possibilité physique de parler ! Rien ne m’en empêchait, si ce n’était ma si douce obéissance envers elle.


En cela, j’ai vécu ce relatif paradoxe : jamais je ne m’étais senti autant bâillonné que la fois où je n’avais pas de bâillon. Quelque part, je trouve aussi qu’il y avait un côté plus apaisant, plus tranquillisant encore. Si la pose d’un bâillon inciterait presque à devoir y étouffer des sons, l’interdiction de la parole fait s’envoler l’idée même d’en émettre. Un sens de moins à gérer, une fatigue en moins, un soulagement de plus.


Cette privation-là est quelque peu déshumanisante, donc humiliante. Une humiliation profonde, mais non violente. Une contrainte bien ancrée. J’étais sa petite chose, et comme une chose, je ne pipais mot. Je me contentais de respirer, un effort que j'admets consentir.


Par ailleurs, l’on peut également y voir un certain côté infantilisant, en cela tout à fait à propos avec le contexte dans lequel ce voyage avec elle était inscrit. L’absence de parole oblige à une communication non seulement réduite, comme déjà souligné, mais aussi bien plus primaire les rares fois où cela s'imposait à moi, avec des gestes et des expressions du visage. Une communication moins maîtrisée, dénuée de barrières, presque à fleur de peau.


En somme, cette privation de parole pour une seule des deux parties tend à déséquilibrer plus encore le rapport dans le jeu de pouvoir.



Plaisir et sensations du sans-mots


Ainsi, pendant ces longues et trop courtes heures avec elle, je me sentais à la fois tranquille et possédé, au sens de sien. Je perdais une partie de mon autonomie, de ma liberté. J'étais contenu.


Quel plaisir ai-je pris, alors, à tomber dans un tel niveau de passivité. Je raffole de la momification, et j’aurais tendance à assimiler cette privation de parole à une momification de la communication. J’étais contraint et pourtant si léger. Dépendant d’elle, aussi. Je ne peux rien lui communiquer à moins qu’elle ne veuille bien me regarder, se rendre disponible pour lire mes agitations. L’absence de mes mots ne fait en outre que souligner l’importance des siens. Le terrain n’était que sien – elle me trimbalait du bout de ses syllabes.


Cerise sur le gâteau de cette expérience muette : ma maîtresse d'une journée n'avait pas oublié cette contrainte. Quelques minutes seulement avant de prendre le chemin de chez moi, où tout était redevenu calme, où la redescente s'opérait, un mot faillit m'échapper. Elle me reprit immédiatement ! Je dois bien avouer que j'ai eu plaisir à cela : moi qui apprécie beaucoup les règles et les retiens facilement, j'étais bien content de constater qu'elle non plus n'avait pas oublié, et qu'elle y tenait assez pour me le faire savoir. Quelque part, me reprendre était une manière d'exprimer qu'elle ne me lâchait pas.


Cet aspect de mon expérience était donc une découverte très plaisante. Si le silence imposé ne remplace pas le bâillon, il offre en réalité une alternative. Je trouve que les deux expriment des ambiances différentes. Le bâillon physique se veut plus marqueur de contrainte, voire plus humiliant, plus "main ferme" ; là où le silence imposé entend peut-être laisser plus grande place à une atmosphère plus complice, plus collective.


 

Ce soir-là, cette nuit-là


Retour au présent ; dans le présent de ce moment vécu.


Je suis avec elle, je suis à elle. Je me sens si chaud, je me sens bien. Si je n'étais pas déjà brisé, j'aurais voulu lui laisser l'honneur de le faire.


Quelque chose chez elle m’inspire une confiance réelle, je la rêve gardienne de ce corps maudit. Elle pourrait bien m'étouffer de ses mains que je voudrais toujours la remercier.


Je ne sais toujours pas quoi du pardon ou de la punition je recherche vraiment, mais ce soir je n’aurai ni l’un, ni l’autre ; ce soir je flotterai dans l’équivoque, empaqueté dans mon petit nuage immaculé.


Ce soir, je m’en remettrai à elle. Demain, je verrai bien. A chaque jour suffit sa peine, et si elle est mon bourreau préféré, elle n’est qu’un bourreau éphémère.


En moi demeure une culpabilité criante que même ce silence imposé ne saurait taire. En ces eaux profondes cependant, le cri se mue en chant.


C'est suffisant.

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